Chapitre 2 - Yuukei Yesterday I
Je me suis réveillée au son perçant de mon réveil. Je tendis ma main à côté de mon lit, tâtonnant avant d’atteindre mon téléphone portable. Après avoir éteint l’alarme, j’ai regardé l’heure et ai soupiré profondément.
… C’est bizarre. Non, c’est super bizarre. C’est vraiment super bizarre.
Après tout, j’ai dû dormir au moins onze heures.
Alors, pourquoi est-ce que j’ai tellement sommeil ?
C’était beaucoup trop injuste. Même en ayant sacrifié une “potentielle nuit blanche” de la belle lycéenne que j'étais, mon corps ne recevait que trop peu de satisfaction.
Quelque chose ne tournait pas rond. T’essayes de dire que je suis juste pas assez belle… ? Bah, même si je suis réveillée, je finirai quand même par jouer à ce jeu en ligne ; mais même en faisant ça, j’en payais le prix.
Un sentiment de fatigue parcouru mon corps entier. “Minute ! Si tu dors pas plus, tu vas mourir. Penses-y !,”; ce signal de danger fut émis.
Mon cerveau reçut le signal, et commença à réfléchir à “Un moyen de rester confortablement dans le futon.”
Par exemple, Stratégie 1: Faire semblant d’être malade.
En ce moment, je vis avec ma grand-mère, donc on est que toutes les deux. Si je lui dis “Je me sens pas très bien aujourd’hui, donc…” je pourrai facilement sécher les cours.
J’aurai vraiment honte d’avoir menti à ma grand-mère, mais là, je pense qu’on peut dire qu’on peut rien y faire.
Sauf que cette stratégie n’est pas bonne du tout.
Dire que “je me sens pas très bien” n’est pas très délicat, vu que ma grand-mère va tout de suite vouloir m’emmener à l’hosto.
Rah, va y avoir un examen médical, et après je vais être hospitalisée…Quand je pense à ça, j’en ai des frissons.
Et puis, à tous les coups, je vais pas pouvoir jouer à mon jeu, et désolée mais je préférerais ne pas passer mon temps libre à absolument rien faire.
Le truc c’est que, tout le monde panique trop à cette idée. Même avec tous les symptomes de cette “maladie”, je ne pense pas que c’est quelque chose qui gâche la vie. Tout le monde en fait vraiment des caisses.
Mon défunt grand-père était particulièrement nerveux, et il s’inquiétait tout le temps à propos de ma maladie. Il a tout fait pour que le lycée que je vais fréquenter à partir de cette année me traite bien.
…Bon, j’imagine que si quelqu’un s’évanouissait soudainement dans la classe, ce serait vraiment embêtant pour les gens autour de moi, et en plus, ce serait assez embarrassant.
“En y repensant, ma situation actuelle est probablement la meilleure possible..”
——En ayant vécu tout en pensant de cette manière, la moitié d’une année s’est déjà écoulée. Et depuis mon arrivée ici, je ne m'étais toujours pas fait de vrais amis, mais ce n'est pas comme si m'en faire me posait un problème.
Bref, après tout ça, la Stratégie 1 est un échec.
Le temps qu’il a fallu pour calculer tout ça était grosso modo de deux minutes En considérant la loi “selon laquelle le temps passe plus vite le matin,” on pouvait en conclure que mon temps de réflexion était incroyablement rapide.
Stratégie 2: “En fait, y’a pas cours aujourd’hui .”
Je pourrais dire à ma grand-mère qu’il y a pas cours aujourd’hui…mais en y réfléchissant, hier soir, quand elle m’a demandé “Je te fais un repas fait maison pour demain ?” je me souviens avoir répondu “Ouaip, j’ai envie de tamagoyaki(1) !”
…Je suis tellement conne ! Pourquoi du tamagoyaki ?! Au lieu d’un repas fait maison, j’aurais dû demander un “Ticket pour des Heures Plus Longues de Sommeil ” ou un truc du genre. Même si ce genre de chose n’existe évidemment pas.
Presque en opposition avec mes pensées, l’odeur merveilleuse des œufs montait jusque dans ma chambre. En réponse à la requête d’hier, “Chef Grand-mère” était sûrement en train de préparer mon repas fait maison avec amour.
En me sentant coupable de vouloir sécher à tout prix les cours, je soupirai , “Rah…”. Je me demande à quel point je dois être un boulet pour ma grand-mère.
En me retournant, je me replonge dans mon futon un moment, en remettant mes pensées en ordre.
…Mais même, je me demande comment ma grand-mère peut se réveiller si tôt le matin, réglée comme une horloge, et ceci jour après jour. J’arrive pas à penser à autre chose que la possibilité qu’elle soit un genre d’ordinateur super précis. Litérallement, une grand-mère ordinateur…
——Pendant que je m’imaginais du grand n’importe quoi, je pouvais entendre un son grinçant de pas de quelqu’un qui montait les escaliers. Ce bruit provenait d’un vieux bois avec lequel était construit toute la maison, et il créait une atmosphère proche de celle d’un film d’horreur, ce qui m’apeurait. Non, c’était certainement une personne qui venait me réveiller.
Je me couvre instantanément de mon futon, et essaie de trouver une dernière stratégie pour faire front .
Ah… Il n’y a plus assez de temps… Stratégie 3… Stratégie…Straté…
“Combien de temps vas-tu encore dormir !! Dépêche-toi et prépare-toi avant que tu ne sois en retard !”
“Aaaah ….”
La mission a échoué.
Alors que les rayons intensément lumineux du soleil tombaient sur moi depuis le volet désormais ouvert, dans ma tête, j’imaginai des lettres rouges clignotantes ; “GAME OVER”
Un temps de mi-automne.
Les jours chauds d’été et la canicule estivale étaient derrière nous, tout comme l’automne, et le paysage du chemin de l’école commence à paraître complètement hivernal. Les vêtements d’hiver commençaient eux aussi à apparaître parmi les élèves en route pour l’école ; des garçons et filles en pulls qui avaient l’air de bien s’entendre, vacillaient dans mon champ de vision.
——Tout en les regardant avec un dégoût évident, je les interrompis dans leur conversation qui me faisait grincer des dents et j’entrai dans l’école en silence ; Moi, Enomoto Takane, était d’une sale humeur.
Mais c’était pas vraiment quelque chose de particulier qu’on pouvait remarquer. C’était habituel, par défaut.
Parce que j’avais l’habitude de rester tard éveillée le soir, et quand j’étais réveillée par le soleil matinal, j’étais agacée de ma fatigue.
Une fois qu’arrivait l’après-midi, j’étais agacée de l’attitude de mes camarades de classe et de mes profs.
Du coup, l’expression que laissaient paraître mes yeux avait toujours l’air énervé, et on me demandait souvent, “T’es fâchée?”
Et à chaque fois, ça m’agaçait encore plus ; c’était un cercle vicieux.
Même si ça me donnait un air trivial et frivole, et que ça me faisait passer mon temps à faire l’idiote, je ne pensais pas que ma personnalité le deviendrait, et je ne le voulais pas.
Commençant à m’agacer d’une désillusion aussi bête de mon propre avenir, je traînai des pieds, de mon humeur grincheuse habituelle.
Par contre, vu que la distance qui séparait ma maison de l’école était assez petite, il n’y avait pas besoin de bus ou de train, ou dit autrement, ça n'aidait personne à se rapprocher de moi.
En tout cas, je n’ai jamais eu d’autres complications que je devais régler par moi-même pour aller à l’école, et, plus important, je pouvais dormir jusqu’à la dernière minute.
Et donc, pendant le temps que j’aurais probablement passé à courir dans la gare entre les différentes lignes de train pour aller en cours, encore aujourd'hui, je pouvais me lever tranquillement, et me faufiler à travers les portes de l’école quatorze minutes avant d’arriver devant la salle de classe.
En atteignant la route linéaire et droite menant au portail, les élèves portant le même uniforme se multipliaient d’un coup.
Alors bien naturellement, j’accélérai, et mon regard devint encore pire.
Juste à côté du portail, j’enlevai mon casque et en débranchai le câble, avant de le mettre dans mon sac.
J’avais fini par bien aimer le casque que m’avait offert ma grand-mère pour mon anniversaire. L’aspect était mignon, et le son était bon. Même si je disais que “le son était bon”, depuis la fois où j’avais emprunté les écouteurs de mon camarade de classe, j’avais pensé “Bizarrement, il est assez faible le son.”; il n’était pas de très bonne qualité, il fallait dire.
Mais cependant, pour moi qui m’y suis habituée, ce casque était devenu mon seul et unique partenaire.
Après avoir salué en hochant la tête le prof d’EPS à la carrure robuste qui se trouvait juste devant le portail, je suis entrée dans l’enceinte de l’école, et j’y ai vu toute l’agitation due aux préparatifs du festival culturel de l’école, qui se déroulerait maintenant dans une semaine.
En plein milieu du large chemin qui devait faire à peu près dix mètres, et qui séparait le portail de l’entrée principale del’établissement, il y avait des espaces prévus pour les installations des différentes classes. J’ai vu des avertissements bizarrement écrits, du genre “Peinture fraîche!! Vous avisez pas de vous assoir!” mais aussi des posters d’annonces, du style, “Recherche carton!Si vous pouvez dépanner, veuillez contacter le comité de la classe 2-A !”
Alors que je regardais un peu à droite à gauche, je me suis demandée à quelle heure matinale tout le monde a dû commencer à travailler. Y’avait déjà déjà des élèves qui avaient leurs vêtements tâchés de peinture, ou alors en genre de costumes de monstres, et même une fille du type ; “C’est le festival culturel de l’école, alors travaillons dur, tous ensemble” qui avait l’air au bord des larmes, et qui disait “Vu que les garçons ne vont pas le faire comme il le faudrait …” La scène que j’avais vue était exactement semblable à la “Réalisation de la Jeunesse.”
——Mais par contre, pour moi, qui était le “genre de meuf qui sort des remarques sarcastiques et provoque des disputes, et qui, uniquement à ce genre d’occasion, va donner un coup de main à ses chers camarades de classe”, les préparations pour le festival culturel n’était qu’une contrainte.
En plus, pendant les préparations, l'entrée deviendrait de plus en plus bruyante à cause de toute l’excitation pour le festival ; il y aurait des heures de colles jusqu’à minuit, et des gens qui dragueraient et briseraient le règlement, donc c’était grosso-modo pas très positif.
Et après le jour-même du festival, il y aurait un tas anormal de déchets laissés derrière.
Qu’est-ce qu’il avait de si spécial, cet évènement improductif et inutile ? C’était complètement ridicule.
Maintenant que j’y pense, dans la petite revue qui avait été distribuée hier, j’y avais écrit que la classe B de première année, dont j’avais été un membre “temporaire”, allait prendre par à l'évenement de tradition qui avait probablement été fait mille fois dans ce monde ; “un café de soubrettes”
Bien loin d’avoir prévu des réunions, cet évènement n’avait même pas pu être abordé lors des cours habituels, vu que c’était complètement hors-sujet et non-pertinent, et j’en avais été rassurée.
Si j’avais en effet mis une tenue de soubrette à cause d’une pulsion soudaine d’un tiers, j’aurais porté le poids d’un souvenir qui jamais de ma vie n’aurait pu être effacé.
Réfléchissant et m’inquiétant non-stop à propos de ce genre de choses, je passai à côté d’une énorme figure de dinosaure, et ai contourné et regardé furieusement un gars à la tête d’abruti qui s’amusait en plein milieu du chemin, et me dirigeai vers l’entrée principale.
En poussant la porte qui avait subi tant d’intempéries que le mot “pousser” ne pouvait plus être lu, je pensai que l’établissement dans lequel j’avais mis les pieds avait une température adéquate, et ceci, grâce au chauffage central.
J’enlevai mes chaussures, et en regardant mes chaussons qui allaient être enlevés du buffet, je remarquai que ce casier était d’un bois considérablement vieux.
J’avais entendu dire que l’établissement lui-même était considéré comme un monument historique, et qu’il était fier d’accueillir autant d’étudiants, dont des célébrités politiques ou culturelles.
Mais pour être honnête, avant qu’ils se vantent de leur histoire, moi je voulais d’abord qu’ils se bougent les fesses pour rénover le bâtiment. Et je n’étais pas la seule à demander cela, c’était le cas de la grande majorité des élèves.
L’établissement scolaire dont on était si fier avait un trou dans le toit du gymnase, depuis le typhon estival, et le pied de la fontaine à eau potable en était tombée ; c’en était devenu un incident assez malencontreux.
Et tout particulièrement, à peu près le premier jour vraiment chaud de l’été, l’incident où toute la clim’ de l’école avait cessé de fonctionner, ça avait été très embêtant, ce qui faisait se plaindre les élèves, genre “Je voudrais changer d’école le plus vite possible.”
Mais cependant, pendant les vacances d’été, les réparateurs, désolés, ont ressuscité la climatisation ainsi que le chauffage.
Les élèves qui avaient essayé de négocier des vacances en plus, pour compenser leurs plaintes par rapport aux équipements de l’école, ont dû, à contrecœur, suivre deux semestres de cours.
Je mis mes chaussons au dessus de l’égouttoir, et je me suis ruée dans le couloir.
De toute ma vie d’étudiante, ce moment-là était celui qui me restait le plus en travers de la gorge.
Alors que tout le monde partait harmonieusement à gauche du couloir, juste en face des casiers à chaussures, pour ensuite monter au second étage où se trouvaient les salles de classes normales ; j’étais la seule à partir à droite, accompagnée de quelques autres élèves, pour aller dans la classe dont l’odeur étrange des produits chimiques flottait toujours dans l’air.
Oui, ma “salle de classe normale” était la “Salle Préparatoire de Science” , avec un professeur infirmier.
Ces dernières années, à cause du développement de la ville voisine et la multiplication des élèves qui venait avec, les salles de classes normales ont été délocalisées pour laisser place à d’autres cours. Et aujourd’hui, il n’y avait aucune salle de classe faite pour une “classe pour besoins spécifiques”; Voilà pourquoi.
Vu à quel point l’équipement était original, avoir des bureaux dont un pour le professeur suffisait pour appeler cette salle une salle de classe, mais j’aimerais que vous y réfléchissiez. Une grande partie de mes trois merveilleuses années en tant que lycéenne consistait à respirer l’odeur du formol. En y repensant, ça me faisait pas mal déprimer. Mais au moment où je vous parle, les élèves qui faisaient partie de cette classe n’étaient que deux, dont moi, ce qui rendait alors le temps passé ici très agréable, dans une classe aussi paisible et silencieuse. Et à propos de ma maladie, si j’avais été transférée dans une classe normale, mon statut de ‘boulet’ aurait été problématique. Voilà pourquoi je ne me plaignais pas trop de ma situation actuelle.
Avançant dans le couloir, tout en vérifiant que personne n’était dans les parages, je poussai un énorme soupir. Tout en passant devant les salles d’art plastique, de musique, et d’économie familiale, s’y trouvait à gauche du couloir une salle de club ; tandis qu’à droite pendait un panneau qui disait “Salle Préparatoire de Science.”
——Et juste en dessous se trouvait la -si familière- porte coulissante vert pâle.
Vu que j’avais déjà de quoi me plaindre, c’était assez rassurant que cette classe n’ait pas plus d’élèves.
Comme d’habitude, le prof était en retard, tout comme ce camarade de classe ; le gars qui avançait “à son propre rythme” et qui dessinait tout le temps.
Tout en pensant, “Bon ben je vais dormir un peu avant que le prof n’arrive”, j’ouvris la porte, et là, un spectacle inattendu qui a alors annulé toute ma fatigue apparût juste devant moi.
“Bonj— ouheuh….—Heinnnnnnnnnn ?!”
“Hein? Oh, Takane. Bonjour ~”
Et là se tenait mon camarade de classe, qui me saluait en retour, avec un grand et étincelant sourire, Kokonose Haruka.
Juste en le regardant, il avait une peau pâle et malade, ainsi qu’un comportement décontracté. Sa passion et talent était le dessin.
Et en plus même son nom le faisait ressembler à une fille mais non, c’était qu’un type banal.
Sauf qu’à cet instant même, ce type n’était pas “banal.”
——Peu importe comment je voyais les choses….. Il ne portait rien d’autre que ses sous-vêtements.
“Q— ….. Qu— …..!?”
J’étais bouche bée, face à cette vue si irréaliste, de si bon matin. Même en essayant de toutes mes forces de ne pas le regarder, il s’avançait vers moi à grande vitesse, dans cette ‘tenue’.
“Oh, hé ! Hé !, Ecoute-moi, s’il te plaît….ce matin, autour de la fontaine de la cour, un chat est venu, et j’ai voulu le caresser, tu sais. Mais hum, comment dire, il m’a très bien évité. Et puis j’ai perdu l’équilibre et je suis tombé dans la fon——”
“P-Pas grave!! On s’en fout de comment c’est arrivé!! G—….grouille, rhabille-toi !!”
En ne montrant aucune détermination, mais une tronche qui traduisait “Ah, que faire” , Haruka, qui avait essayé de me dire au calme comment il avait fini à moitié nu, inclina sa tête face à mon hurlement de désespoir.
“Heinn? Mais mes vêtements ne sont pas encore secs. Tu vois ?”
Tout en pointant du doigt son uniforme qui séchait sur le radiateur, il faisait preuve d’une attitude qui sous-entendait que c’était moi qui avait tort. La distance qui nous séparait était de cinquante centimètres.
Reculant face à cette vue complètement irréaliste, je tombai brusquement sur la porte que je venais de fermer !
Et tout en entrant en collision avec la porte, j’ai balancé des suggestions désespérées.
“Ah, ah, ahh!! Pigé!! Pas grave s’ils sont pas secs! M-mets-les, c’est tout !! J’vais aller chercher un maillot d’EPS ou un truc du genre, alors en attendant, porte tes fringues !!”
“Hein? Oh, très bien …. Mais euh ….. Tiens? Je trouve plus ma chemise…. Chemise~ ….”
“Tu marches dessus !! Là, sous tes pieds!! Aah, putain ! Donne-moi ça !”
Est-ce que c’est parce qu’il n’avait pas compris la gravité de la situation qui était “d’être moitié-nu devant une fille”? Avec la lenteur d’une tortue, Haruka commença à se rhabiller.
Mais ce n’était pas une scène à laquelle je ne pouvais qu’assister tranquillement.
En arrachant des mains d’Haruka la chemise qu’Haruka venait de ramasser, et essayant de détournant le regard afin de ne pas avoir à le regarder directement, j’essayai de la lui mettre de force.
“Ouaaaah—! Non, t’inquiète, je peux la mettre moi-même ! Attends, ça, c’est l’autre bras~.....”
“Raaaahh! Arrête de bouger!! Et me regarde pas!!”
Peu importe comment on voyait les choses, cette situation était tout sauf décente ou correcte. Pourquoi, de si bon matin, devais-je habiller de force mon camarade de classe qui était quasi à poil ? S’il n’était pas mon camarade, ça aurait pu être au niveau où j’aurais pu tout simplement l’emmener illico presto à la police.
Cependant, si quelqu’un nous avait vu à ce moment-là, dans cet état-là, ça aurait été très mauvais.
En plus, ça aurait été similaire à ce qui arrivait souvent dans les mangas pour filles clichés et niais, et ça aurait été très mal interprété…
Mais à quoi je pensais ?...Trop tard, le pire des scénarios était devenu réalité.
“Allez~hop, les cours commencent~ Euh …..”
Une voix monotone accompagnait le lourd crissement de la porte qui s’ouvrit, et juste derrière se tenait notre professeur principal, qui était aussi le professeur de sciences dans cette école, Tateyama Kenjirou.
Mr. Tateyama fit une tête scandalisée, qui aurait pu rivaliser avec celle que j’ai faite tout à l’heure, et le cahier d’appel s’échappa petit à petit de ses mains, avant d’atterrir sur le sol.
“Ah …. non ….. Euh, Monsieur, ce n’est pas …..”
“Oh, Monsieur, bonjour~”
Contrairement à moi, qui sentit immédiatement des frissons parcourir ma peau, le Haruka à moitié-nu rendit le bonjour tout en souriant.
Objectivement, en un seul coup d’œil, la situation pouvait être vue comme “une méchante fille déshabille un lycéen naïf et innocent, même tôt le matin.”
Même si cet instant n’avait pas duré très longtemps, il m’avait paru durer une éternité. Tandis que je réfléchissais à ce qu’avait dû en conclure Mr. Tateyama après ce long silence, il prononça ceci, “Oh …. Je vous ai interrompus…. Excusez-moi …..” et essaya de fuir dans le couloir.
“Aaaaaaah!! Pas du tout!! C’est pas du tout comme ça! Ce gars, là…. i -il faisait l’abruti tout nu, d-du coup, j’ai voulu le rhabiller !!”
Avec une expression cheloue, Mr.Tateyama, qui allait alors sortir de la pièce, s’arrêta.
“Hein? Ah, ahh, c’est ça alors ? …. Ahh, non, je pensais que vous ne pouviez plus vous retenir……” Mr.Tateyama soupira, et ramassa le cahier d’appel avec un sourire.
“Arrêtez de dire régulièrement ce genre de trucs ! Et puis, même si ça avait été le cas, ça aurait été grave, non !? Ne venez-vous pas d’essayer de vous enfuir, là !?!”
“Ahh, eh bien, tu vois, si ça avait été devenu embêtant, ça aurait été plus facile de dire tout simplement ‘Je l’ignorais’. Et en plus, c’est comme ça, tu sais. Après tout, je veux vous voir grandir en toute tranquillité, avec une liberté totale….”
“Vous êtes le pire prof qu’on puisse imaginer!! B-Bon, habillez ce gars-là !! Ou j’en parlerai au directeur!”
Même si Mr.Tateyama se grattait la tête comme si pour montrer que sa tâche l’ennuyait, au moment-même où je prononçai le mot “directeur”. Il sortit un rapide “OK” et commença à habiller Haruka à une vitesse éclair.
Vous ne rencontrez probablement pas très souvent un “si mauvais exemple d’adulte”.
D’une certaine manière, il nous avait vraiment enseigné des leçons précieuses, sages et utiles…comme se racheter. Ma réalisation ne dura qu’un minuscule instant.
“Ah …c’est pas agréable d’être tout mouillé, Monsieur ……”
Haruka, qui était de nouveau habillé grâce aux mains agiles de Mr.Tateyama, exprima d’une voix terrible son dégoût et s’asseya sur sa chaise.
Au moment où je me suis aussi enfin assise, je ressentis soudainement une écrasante fatigue.
A cause de ce gars-là, combien de mes points de vie furent pris de si bon matin, au juste ?
Il n’y aurait probablement rien qui ne me fasse rigoler aujourd’hui après tout ça……
En face des deux bureaux était positionné, légèrement plus haut que le reste de la pièce, le bureau du prof, qui s’asseya sur la large chaise pliante en fer, et ouvrit le cahier d’appel.
“Oui, oui, je sais. J’irai te chercher un haut plus tard…Ceci dit, bonjour. Ah~, vous êtes tous les deux présents. Je dois vraiment applaudir vos efforts pour venir en cours tous les jours sans en être fatigué.”
“…. Voilà qui n’est pas quelque chose qu’un prof dirait.”
Tout en allongé sa tête sur son bureau, Mr.Tateyama marmonna dans une voix étouffée, “Si un prof l’a dit, alors ne serait-ce pas quelque chose qu’un prof dirait~ ?”
Notre société était-elle en paix grâce à ce genre de personne devenue enseignante ?
J’étais cependant très inquiète à propos du futur de la société en question.
“Ah…Bon, alors, à propos de ce qu’on doit faire aujourd’hui…Euh, c’était quoi déjà? Euh… Je pense avoir pris des notes, ou peut-être que non …”
“Mon dieu, mais avancez, bon sang!”
Même si j’étais déjà assez énervée comme ça ce matin, observer ce genre de personne ne faisait qu’empirer les choses. La façon dont il faisait tourner son stylo rouge me faisait penser à un primaire qui n’avait pas franchement envie de travailler.
“Euh~Attendez, euh …Ah, oui, exact, nous devons décider de ce que nous devons faire pour le festival culturel de l’école. Alors, qu’est-ce que vous avez prévu, finalement ?”
“Quoi!? Monsieur, quand on en a parlé l’autre jour, vous aviez pas dit que ça allait si on ne faisait rien !? On en a jamais reparlé, alors comment voulez-vous qu’on prévoie quelque chose !?”
J’ai bruyamment bondi de ma chaise, mais le prof aux yeux de merlan frit avait l’air de s’en foutre complètement, et ne s’est même pas levé pour riposter.
“Ah~ Eh bien, à propos de ça… La semaine dernière, le directeur m’a demandé, ‘Que fait votre classe pour le festival de cette année ?’ Evidemment que je n’avais pensé à rien, alors pour je lui ai juste dit, ‘On a concocté un ‘Projet Spécial’ qui époustouflera tout le monde, alors faites-nous confiance !’”
“Mais à quel point avez-vous essayé de bien paraître en face du directeur!? Et ça veut dire quoi ‘Je lui ai juste dit’!? Qu’est-ce qu’on va pouvoir bien faire!? Il ne reste qu’une semaine…!!”
Je m’écroulai sur ma chaise et couvrit mon visage de mes mains. J’ai ensuite entendu Haruka m’aborder en proposant quelque chose de vraiment bête “Ah, et si on faisant un stand de tir à gages ?”, alors que nous n’avions rien de prêt ni même le fric pour le faire, ce qui me faisait désespérer encore plus.
En toute vérité, je me foutais royalement de ce qui pouvait arriver au prof, mais si notre projet, qui ne consistait alors en rien, faisait tellement parler de lui qu’il était mentionné en tant que ‘Projet Spécial’ ou un truc du genre sur les affiches du festival, alors là, on serait réellement dans la douille.
Si ça tournait comme ça, alors nous n’aurions à la fin que du désespoir, l’abysse des ténèbres, ainsi qu’une destruction totale ……
“Ahhhhhh … !!”
Simplement imaginer à quel point notre futur allait être horrible m’avait fait brailler, sans que je puisse le remarquer. Si j’avais eu un camarade plus fiable , là, peut-être que j’aurais pu faire quelque chose face à cette malédiction. Mais peu importe comment on y réfléchissait, moi, ce type optimiste et trempé jusqu'aux os, et LE Déchet de l’Humanité en personne, étions tous les trois carencés en ‘Force Combattante’.
Si seulement je trouvais un moyen d’y remédier… Mais même quand j’essayais, peut-être parce que je n’ai jamais rien fait d’autre que jouer à des jeux, ou peut-être parce que je n’étais pas totalement éveillée, mon cerveau ne fonctionnait pas aussi bien que je l’espérais.
Face à cette situation grave, et ne sachant plus quoi faire de sa misérable distribution des cartes, Mr.Tateyama balaya son regard gêné.
“…. A-Allons, allons, du calme, nous ne sommes pas encore morts. En tous cas, vous pouvez utiliser cette salle entière pour travailler, et je vous aiderai également. Alors, pourquoi on n’arrive pas à réfléchir à quelque chose ?”
La dernière phrase de Monsieur….Non, il ne méritait même plus qu’on l’appelle “Monsieur”—En l’affirmation de cet homme, “je vous aiderai également”, je n’avais aucunement confiance.
Selon moi, les choses n’étaient pas aussi simples que ça.
Si, même en ne devenant pas aussi populaire au point où on mentionnerait sur l’affiche “Projet Spécial”, notre projet -de ne rien faire du tout- devenait tellement honteux et embarrassant que des rumeurs diverses et variées venaient à faire surface, alors mes deux prochaines années de vie de lycéenne seraient un enfer.
Haruka n’avait pas l’air de s’inquiéter de ce genre de choses, mais pour moi, c’était assez grave.
Mon mauvais caractère et mes absences irrégulières à l’école donnaient déjà une mauvaise impression, alors je n’avais pas du tout envie que ce projet ne me donne une image encore plus mauvaise.
Mais par contre, un truc me disait que le fait dont avait parlé Mr.Tateyama, à savoir qu’on pouvait utiliser la salle comme bon nous semble, pouvait nous aider à avancer. Même si nous étions vraiment fatigués de voir cette salle, il doit y avoir plein de choses rares à découvrir pour les visiteurs. Par exemple, quelque chose qui disait “Expérience ---” , en excitait plus d’un.
“….Non, sérieux, ça serait vraiment bien de faire quelque chose d’intéressant…. Attendez, le budget! Monsieur, dites-moi si j’ai tort,mais chaque classe a bien reçu un budget avec lequel réaliser le projet, pas vrai !? Combien on a eu !?” A l’instant même où je demandai ça, Mr.Tateyama tressailli et il porta son regard sur l’étagère à matériel scientifique qui était derrière nous.
“Hein? Qu’est-ce qu’’il—”
Sans perdre une seconde, je suivis le regard de Mr. Tateyama et au milieu des appareils de laboratoire et des flacons chimiques se trouvait un poisson fossilisé que je trouvais assez flippant, dont je me souvenais avoir déjà vu auparavant.
C’était le spécimen marin très rare et prisé que Mr. Tateyama n’arrêtait pas de regarder sur le site d’achat en ligne de matériel scolaire, tout en marmonnant “Il est tellement cool celui-là …. Mais tellement cher …..”
“….Hein? Mais, Monsieur, il était pas trop cher pour vous ce spécimen ?”
En me disant que, finalement, le fossile était assez stylé, je remarquai le front dégoulinant de sueur de Monsieur Tateyama.
Sans regarder en face mon visage interrogatif, il pencha sa tête vers le bas silencieusement, un peu comme dans un manga de détective, où un criminel aurait été mis à nu et allait exprimer ses raisons.
“… Monsieur… Vous avez utilisé… le budget, hein?”
“… C’est … C’est de sa faute à lui…!!”
D’un jeu d’acteur franchement pas terrible mais motivé, Mr. Tateyama a dit, pour sa défense, que «les 40% de réduction pour le rare spécimen marin (‘lui’) ont commencé au même moment où les budgets attribués à chaque classe ont été calculés,” et cela ressemblait fortement à une raison pas très valable d’un crime qui venait d’être commis.
….Mais bon, c’était même pas une vraie raison, en fait. Parlant comme s’il l’avait été la victime du poisson qui l’avait captivé, je n’étais plus en rogne ou en mépris, en fait, je commençais à ressentir quelque chose ressemblant à de la sympathie.
“Et donc, qu’est-ce que nous allons faire ? Personnellement… Je pense que ce serait une bonne idée de faire un stand de tir ….”
Alors que Mr. Tateyama décrivait “A quel point le poisson fossilisé était captivant”, et je réfléchissais à comment j'allais pouvoir décrire le comportement de Mr. Tateyama au directeur, une fois encore, Haruka nous jeta en plein dans la tronche son avis, comme quoi il fallait faire un stand de tir.
“….Non mais tu sais, pour faire un stand de tir, on devra avoir besoin de beaucoup de prix, et c’est énorme à préparer, donc peu importe comment tu le vois, on peut vraiment pas le faire en étant que trois. Et puis tout d’abord, c’est à cause de cet abruti qu’on a plus de sous.”
“Oh …mais je pensais que c’était une bonne idée, moi... J’ai vu ce que les autres classes ont fait, et aucune ne semblait faire de stand de tir…”
Même si Haruka avait dit ça d’une façon un peu désinvolte, c’était formulé comme pour dire que c’en était super suprenant. La raison pour laquelle il n’y avait pas de “stand de tir à gages ” parmi tous les projets des autres classes, c’était probablement en rapport avec le budget. Déjà que l’école galérait à se payer des rénovations, j’arrivais pas à imaginer qu’ils puissent donner l’argent nécessaire à une classe afin d’acheter tous les prix pour leur stand de tir.
Par contre, ce qui me préoccupait, là, c’était que Haruka, qui était toujours dans les nuages, à penser des choses qui me dépassaient, se souciait de ce que faisaient les autres classes pour le festival culturel, au point où il était au courant de chaque projet.
“…. Hé, ça se pourrait que t’aies vraiment hâte d’assister au festival culturel ? ”
A l’instant où je lui demandai ça, il me répondit, timidement “Oui, je l’avoue…. ”. En voyant à quel point il n’avait pas été timide quand il était à moitié nu devant moi un peu plus tôt, on dirait que ce gars-là s’embarrassait pour des choses bien différentes des personnes normales.
“C’est assez surprenant…. Mais l’autre jour, quand on a disait qu’on allait rien faire pour le festival, tu n’avais pas dit un mot….”
“Eh bien, c’est parce que ça serait embêtant que je m’évanouisse, vu comme mon coprs est fragile ; et quand j’observais les autres, j’ai vu que ça prenait beaucoup de temps et d’efforts pour faire les stands, donc je me suis dit qu’on ne pouvait rien y faire….”
Dit Haruka, avant de montrer un doux sourire.
J’arrivais pas à parfaitement comprendre, mais apparemment, Haruka avait une “maladie” vraiment grave, qui n’était pas du tout au même niveau que ma “maladie”.
C’était le genre de maladie où une simple attaque pouvait être fatale.
Mr. Tateyama m’en avait parlé quand on s’est inscrits, mais peut-être que c’était à cause du caractère jovial et optimiste du la personne en question que je n’avais vraiment réalisé la gravité du problème.
A cause de toute son expérience, Haruka en avait bien plus qu’une petite idée, de sa maladie.
Bien que je n’y avais jamais vraiment fait gaffe, en tout cas jusqu’à présent, il était possible qu’il se soit imposé lui-même plein de limites à l’école, et ceci depuis qu’il s’y était inscrit.
“…Je vois. Mais tu veux le faire, pas vrai?”
“…. Oui. Je le veux. Mais je vais sûrement finir par t’attirer des ennuis, Takane ….”
Même s’il était encore timide, il m’avait dit ça très clairement.
Même si on en avait déjà parlé plein de fois, je ne comprenais pas pourquoi il était si timide.
“…. Ouais, mais tu sais… comment tu peux être autant à l’aise alors que Mr. Tateyama nous a fait un coup pareil ? Bon, à part ça, si t’as envie de faire un truc, alors faut juste que t’essaies de le faire, et si ça marche pas, alors on trouvera une solution.”
“Oui, c’est vrai, mais je ne peux pas le faire tout seul…Et je n’ai jamais fait ce genre de choses avant, alors je ne sais pas si ça va marcher….”
Tout en voyant Haruka bafouiller doucement quelque chose en faisant rouler sa gomme sur son bureau, sans savoir pourquoi, je me levai et sans réfléchir, j’ai frappé son bureau de mes deux mains.
“—Aaahhhh!! Mais décide-toi, bon sang!!Tu veux le faire, ce stand de tir, non!? Alors c’est décidé!! Je t’aiderai, d’accord!? T’as pigé!?”
Après mes cris, Haruka marmonna, tout doucement “P-Pigé ….” à travers un visage effrayé.
Et pourtant, je ne me suis pas arrêtée là, et je me tournai alors vers Mr. Tateyama ; “Préparez-nous de l’argent tout de suite, s’il vous plait ! Et d’ailleurs, ce spécimen fera office de lot ! Compris !?”
“Hein!? Non, attends un peu. Il est hors de question qu’on fasse ça ! Tu penses que ça a coûté combien au ju—“
“…. Directeur.”
“Reçu cinq sur cinq ! On t’obéira au doigt et à l’œil ! Ouah, je me sens super chaud pour le faire là !”
Dit rapidement Mr. Tateyama avec un sourire presque rafraîchissant. A ce stade, non seulement moi, mais aussi Haruka, regardions d’un regard désemparé et plein de désarroi notre professeur complètement absurde.
——En regardant l’horloge, cela faisait déja plus d’une demi-heure que la ‘réunion matinale’ avait commencé, et il était presque l’heure où elle devait se terminer.
Pendant la dernière semaine avant le festival culturel, tous les cours habituels étaient annulés et à la place, les classes devait travailler sur leur projet, tout ça, sous la surveillance du Comité Executif.
Chaque classe avait ce genre de ‘réunion matinale’ pendant la première heure, mais dès la seconde heure de ‘cours’, tous les élèves commençaient alors à travailler sur leur projet dans leurs classes respectives. Mais Haruka et moi, on faisait de l’auto-instruction tout en faisant nos devoirs, mais vu qu’on avait enfin décidé ce qu’on allait faire pour le festival, nous aussi, on devait se retrousser les manches.
“’Un stand de tir’, hein…. Par où commencer…?”
Même si j’avais été à fond pour le faire y’a quelques instants, et que j’avais dit à Haruka qu’”On va faire ça, alors ! ”, leproblème, c’était qu’il ne restait qu’une semaine avant le festival, alors est-ce qu’en étant seulement deux, on pouvait vraiment finir notre “stand de tir” à temps ?
Déjà, il fallait acheter les prix, les aligner, mais aussi faire tout le boulot nécessaire pour tout ce qui touchait aux pistolets, et je n’en voyais vraiment pas la fin.
Et puis, on aurait besoin de la salle d’ingénieurie ou d’art plastique pour les accessoires, mais la réservation des salles avait déjà été faite longtemps en avance par les autres classes.
“E-Euh….Etant donné que ça a l’air impossible pour nous à faire, ne devrions-nous pas faire autre chose ?”
“Non! Si tu dis que c’est impossible, alors ça le deviendra ! C’est toi qui a dit que tu voulais le faire, alors trouve quelque chose !”
Haruka afficha une expression de choc une nouvelle fois, et en moins de deux, croisa ses bras et commença à réfléchir.
Même si, à la base, c’était son idée à lui, j’étais vraiment rentrée à fond dedans, voulant moi aussi montrer aux autres qu’“on était différents de tous ces suce-boules , dont le seul but était de s’amuser et de se faire des copains.”
Si on allait faire ça, alors je voulais vraiment pas le faire à moitié. La motivation que j’avais pour jouer quotidiennement aux jeux commençait à s’accroître de plus en plus.
“A ce stade, ça sera beaucoup trop dur de faire un grand stand de tir, et Monsieur, à propos de bricolage….”
“Ouais! J’en ai jamais fait de ma vie!”
“—Je m’en doutais. Bon, eh bien, Haruka et moi le ferons nous-mêmes….”
“Hé-oh, attends une minute! Je n’ai peut-être jamais fait de travaux manuels, mais tu sais quoi ? Je suis un super bon programmeur !”
Mr. Tateyama se pointa du pouce avec fierté et fit ce truc super chiant d’otaku, qui sous-entendait ; “Je suis polyvalent, alors n’hésitez pas à jeter un coup d'oeil à ce que je fais d'autre !”
“Ahh...C’est vrai? Wow~Bon, eh bien vu que vous n’allez servir à rien, partez créer un simulateur de dra—”
C’était devenu vraiment casse-couilles de discuter avec lui, et alors que j’étais en train de le rejeter comme une vieille chaussette avec ce commentaire très spontané, quelque chose auquel je n’avais pas pensé auparavant fit apparition dans mon esprit.
On était dans une situation où nous ne pouvions pas fabriquer de grand stands, en tout cas, pas manuellement ;
L’unique récompense qu’on avait était le fossile marin.
Et nous devions faire le —“stand de tir” le plus intéressant de tous.
C’était un peu bordélique, mais je pense qu’on pouvait faire ça en une semaine.
Quand j'ai réalisé ça, j’ai, une fois encore, bondi de mon bureau ouvertement.
“Ouaaaah! A-Attends, Takane!! C’est de ma faute, je fais n’importe quoi, mais gardons notre calme ! La violence ne résoudra rien ! Il doit y avoir un autre moyen…!”
Pris de peur par mon geste soudain, Mr. Tateyama mit ses paumes face à moi, et déblatérait un pitoyable discours, comme pour essayer de sauver sa vie une dernière fois.
Et à côté de moi, Haruka, qui faisait semblant de penser, alors qu’il était juste dans la lune, tomba soudainement de sa chaise et atterrit violemment sur le sol, surpris par mon mouvement.
“Je viens de penser à un truc! Ce stand de tir, on peut carrément le faire!”
“Hein? Ah, exact, un stand de tir. Mais les préparatifs vont nous prendre beaucoup de temps, tu sais ? Je l’ai déjà dit, tout à l’heure… je suis même pas capable de construire une étagère….”
“Oh, non, ça, c’est le cadet de nos soucis, Monsieur. Je veux dire… Vous pouvez programmer, hein, Monsieur….!?”
Ne comprenant pas le message caché derrière mon grand sourire, Mr. Tateyama pâlit.
“T-Tu vas bien, Takane ….?”
Haruka, qui était toujours sur le sol, et caché derrière sa chaise, m’adressa la parole alors qu’il bavait. Mais je n’ai pas voulu le lui faire remarquer.
“Héhéhé …. On va le faire, ce foutu jeu de tir. T’es bon en dessin, pas vrai….?”
“Hiii …. !”
Même si je souriais, Haruka avait l’air effrayé, comme s’il s’était senti menacé. Pourquoi ces 'hommes' étaient donc si pathétiques ?
Bah, on s’en foutait un peu, s’ils soient pathétiques, à ce moment-là.
….Vu que je vais les faire bosser à mort.
“T-Takane….. ce ‘jeu de tir’ dont tu parles, est-ce que ….”
En voyant la tronche qu’il faisait, on dirait que Mr. Tateyama avait enfin compris ce à quoi j’avais pensé.
Ce “jeu de tir” aurait besoin d’une somme astronomique de travail de sa part, afin d’être réalisé.
“Héhéhé …. Exact. On peut faire un ‘jeu de tir’, sans même utiliser d’outils de bricolage, n’est-ce pas? Haruka peut dessiner les personnages et les décors, et on peut aussi ne garder que le fossile en tant que récompense…”
Une fois que je lui ai expliqué ça, Mr. Tateyama baissa les épaules, et soupira “En plein dans le mille ….”
Faire un jeu tout seul était quelque chose de terriblement difficile.
Mais jusqu’à présent, il avait fait des trucs franchement pas terribles. En y repensant, il n’avait fait aucun effort pour les faire.
“Hein …. ? On fait un jeu!? Tout de suite!?”
Haruka, simplet comme il l’était, avait, stupéfait, plus réagi que d’habitude. Mais contrairement à Mr. Tateyama, on aurait dit qu’il avait fait le surpris pour essayer de cacher son excitation.
“Ouaip! Haruka, t’es en charge des dessins. Tu peux le faire, non?”
Après que j’aie dit ça, Haruka hocha la tête avec enthousiasme. L’expression qu’il avait à ce moment-là était peut-être la plus rayonnante de toutes celles que j’avais vues sur son visage. Et ça me donnait une image complètement différente de comment je le voyais d’habitude.
"Y’aura pas mal de taf’, mais donne ton max. Bah, de toute façon, notre prof va lui aussi mettre la main à la pâte.”
“Pardon !? Moi ?!? Mais tu crois que c’est quoi, la quantité de travail nécessaire pour faire un jeu—”
“Directeur ….”
“Allez, donnons-nous à fond et faisons un super truc !!”
Tout en affichant son sourire le plus triomphant, Mr. Tateyama prit la pose avec son pouce une dernière fois.
La formule magique “Directeur” était d’une utilité vraiment incroyable.
Là, plus de doute, ma future vie passée dans ce lycée lui en serait redevable.
“Sauf qu’il y a un hic. Qu’est-ce tu voulais dire, par le fait qu’on n’ait besoin que d’un seul prix ? On ne sait pas combien de personnes seront capables de gagner… Allons-nous le rendre tellement difficile que personne ne pourra gagner ? Ça ne va pas trop dégoûter les autres ?”
“Vous inquiétez pas. Ah, et pour le jeu, faudrait que vous fassiez un système de points, plutôt qu’un système gagnant-perdant. Et aussi, j’aimerais que ce soit pour deux joueurs.”
“Ah, oui, aucun problème, mais…. Une minute, qu’est-ce que ça signifie….?”
“Ouaip, je serai l’adversaire à battre. Comme ça, si l’adversaire est une jolie fille, même si tu perds, tu peux pas te plaindre.”
Vu comment la situation avait tourné, le visage auparavant pâle de Mr. Tateyama devint abattu, soit le même visage que j’avais plus tôt. Que ça lui serve de bonne leçon.
“Alors, c’est Takane qui va combattre les autres ? Mais attends, si tu perds ne serait-ce qu’une fois, alors nous n’aurons plus aucune récompense à attribuer...”
“Ne t’iqnuiète pas pour la récompense, parce que je ne perdrai pas ! Vers la fin du festival, ça sera très animé, vu que j’aurai perdu. Et puis je me contrôlerai, à ce moment-là.”
En entendant ça, Haruka fit une mine très inquiète. C’est vrai qu’il avait de très bonnes raisons de le faire.
On savait pas du tout comment ça allait tourner, avec le jeu, et y’avait malgré tout un risque, même minuscule, que je perde.
Et si je finissais vraiment par perdre, et que notre seule récompense, le “fossile marin rare (et coûteux)” partait pour de bon, notre festival culturel serait fini, et ça, c’était assez embêtant.
Par contre, j’avais un “talent particulier” dont je ne lui avais jamais parlé.
…. Ben, pour être franche, c’était que je ne voulais pas lui en parler. Mais du coup, j’avais vraiment très confiance en moi grâce à ça, mais je ne voulais pas du tout l’aborder-
“Ahh, mais Haruka, tu sais quoi ? Cette gamine est très célèbre sur internet. Tu vois le jeu dont les pubs passent à la télé ? Celui où tu tires sur des zombies.”
“Ah, oui, j’en ai entendu parler. C’est un jeu en ligne, c’est ça …. ? Si mes souvenirs sont bons, il y a en a eu un tournoi d’organisé y’a un petit moment ….”
“Oui, c’est exactement ça. Eh bien, sache qu’elle est arrivée à la deuxième place du tournoi national.”
Pendant le court instant où je faisais un monologue dans ma tête, Mr. Tateyama avait, sans que j’y puisse y croire, avoué mon secret.
“Aaaaaahhhh!! M-M-M-Mais pourquoi vous lui avez dit !? A-A-Attends, c’est pas vrai du tout ….!”
Le jeu de tir en ligne de tuerie en masse de zombies “DEADBULLET -1989-”. Sorti il y a un an, c’était devenu le jeu de tir le plus joué au Japon, tout ça grâce aux utilisateurs qui en parlaient partout. Et dans ce jeu, j’étais une joueuse qui pesait assez lourd, et étais devenue l’un des meilleurs joueurs, et ceci, seulement quatre heures après l’ouverture du jeu en question.
Même si je jouais, depuis le début, d’une façon unique et que j'étais devenue tellement célèbre que j’avais une communauté de centaines de fans créée rien que pour moi, vu mon tout petit cercle d’amis, Mr. Tateyama était le seul au courant.
——Mais ce n’était plus le cas.
J’ai été si naïve. En voulant trouver un ami de la vraie vie avec lequel j’aurais ce jeu en commun, je n’ai pu me retrouver qu’avec ce prof avec qui je pouvais parler sans trop réfléchir, mais quelle erreur j’avais faite.
Il était très inquiétant qu’une jeune lycéenne abandonnait toute forme de divertissement qui n’était pas le jeu brutal et violent qu’était “DEAD BULLET -1989-”.
Pour être franche, si je connaissais une meuf de ma classe qui en était aussi accro, alors je me serais éloignée d’elle direct.
Si jamais un camarade de classe apprenait ça….
“Takane, mais c’est génial ! Deuxième place au tournoi national !? Mais c’est tellement cool! Pourquoi tu ne m’en as jamais parlé avant ? Dis, il est fun ce jeu ?”
En ignorant complètement le conflit que j’avais avec moi-même, Haruka réagit d’une façon beaucoup plus tolérante que je ne l’aurais pensé, et en fait super positive, comme s’il voulait en savoir plus.
Non, ça devait être parce qu’il ne comprenait pas la vraie nature de ce jeu. Une fois qu’il aurait compris, alors là, c’est sûr, il dirait un truc du style “Ouah mdr même si t’es une fille, t’aimes ce genre de jeu gore ? C’est trop flippant mdrr. Eloigne-toi de moi mdrrrrr”.
Alors que je fixai les yeux innocents d’Haruka, Mr. Tateyama eut un fou rire et dit quelque chose de complètement ridicule.
“Oh, si c’est pas chouette, ça, Takane ? Tu cherchais quelqu’un avec qui jouer à ce jeu, non ? Ce jeu m’attire pas vraiment, alors pourquoi ne pas jouer avec Haruka ?”
“Quoi!? M-mais enfin, qu’est-ce que vous dites, là !? E-Et même, c’est pas comme si j’y jouais autant….”
Alors ça, c’était un énorme mytho ; J’y jouais . Même si je devais aller dormir relativement tôt à cause de mon épuisement, à la place je passais mon temps libre, soit de quatre heures de l’après-midi jusqu’à quatre heures du mat’ à jouer.
Et Mr. Tateyama, qui me souriait, était bien sûr, au courant de tout ça.
“Oh… Moi qui croyais que tu aimais beaucoup y jouer…Comment tu t’appellais déjà? ‘ La Danseuse Eclair…..’”
“Aaaaaaahhhhhhh!! Ahhhhh!! Très bien ! Je vais le dire au directeur ! Tout dire !! Ça vous va !?”
“Ahhhhhh!? Tout sauf ça!! D’accord, d’accord !! Je m’excuse !!”
D’un point de vue extérieur, la façon que Mr. Tateyama et moi avions pour nous engueuler l’un l’autre tout en faisant bouger nos bureaux était probablement assez comique.
Sauf que du point de vue des personnes concernées, c’était une question de vie ou de mort.
Tout en continuant à s’épier pendant un moment, alors qu’Haruka avait murmuré “D-Du calme ….”, la sonnerie retentit, comme pour mettre fin à cette guerre.
“…. Haah, bon, bref, je suis sûr que personne ne s’oppose à notre choix de s’arrêter là.”
“Oui, je suis d’accord…. Mais, vous pouvez comprendre, non ? Si vous laissez le moindre truc s’échapper….”
“Comme si. Si tu le dis au Directeur— Tu as conscience de ce qui pourrait arriver, pas vrai….?”
“…. Ouais, je comprends. Je garderai pour moi ce malheureux incident…. Mais, si tout ça va plus loin, je ne vous laisserai pas faire…..”
Avec un deal qui n’avait pas du tout l’air d’être une conversation prof-élève, comme pour dire, “C’est tout pour aujourd’hui!”, la première heure de cours se termina.
“Bon ….J’ai moi aussi des responsabilités, donc je vais essayer quelques trucs …. On se revoit pendant la deuxième heure. Allez tous les deux aux toilettes, tout ça tout ça…”
Dit Mr. Tateyama, et avec le cahier d’appel dans sa main, il quitta la classe en se grattant la tête. Au court moment où la porte s’ouvrit, on pouvait entendre les bruits de pas d’autres élèves ainsi que leurs voix joviales pendant qu’ils parlaient.
“Haah …. Je me demande si ça va vraiment bien se passer….”
H.S., je laissai ma tête tomber sur mon bureau, et au même moment, mes yeux rencontrèrent Haruka, qui était assis à côté de moi.
“… Pour être honnête, j’ai un peu dit ça sans réfléchir, mais grâce à toi, Takane, je pense qu’on va vraiment s’amuser ! Je suis sûr que ça va bien se passer ! Je vais me donner à fond, moi aussi!”
Quand j’ai regardé Haruka, qui souriait et prenait une petite pose de victoire, j’ai senti mes joues s’embraser d’un coup, sans savoir pourquoi…. c’était probablement parce que j’étais gênée à propos du truc du jeu en ligne.
——Je me sentis sourire un peu aussi.
J’ai alors réalisé que d’une certaine manière, j’étais, moi aussi, devenue “le genre de fille qui était à fond pour le festival culturel de l'école”. Ouais, ce sourire devait forcément en être un de forcé.
“….Tiens, c’est pas si ennuyeux que ça, en fait.”
Tout en marmonnant ça, je commençai à m’imaginer les préparatifs du festival, qui seraient sûrement assez sympas…