Lost Days VII
Une ligne de condensation s’étirait dans le ciel. Le panorama derrière la fenêtre était contrastée avec le bleu qui perçait l’horizon et la végétation luxuriante. Les bourdonnements bruyants des cigales étaient relaxant. Avant que je m’en rend compte, nous étions déjà en plein été.
Combien de temps ça faisait depuis ce jour-là ? Ce jour-là où je jouai pour la première fois aux jeux vidéos, avec cette personne… ?
… Ces derniers temps, ça n’allait pas terrible. J’avais l’impression que le temps que je passais à 'décrocher' ou à 'm’absenter', augmentait de jour en jour. Certains disent que si on ne bouge pas son corps, le cerveau ne fonctionne plus. J’imagine que ça pourrait être vrai. En fait, pas trop, parce que ça voudrait dire que tous les athlètes seraient des génies, non ? Hmm~ ça ne me semblait pas correct.
Tout en étant assis sur mon lit, ces pensées me faisaient passer le temps.
Tout à coup, la porte s’ouvrit et la voix enjouée de Shintaro emplit la chambre. “Désolé du dérangement…Tiens, Haruka, tu m’as l’air plus en forme.”
“Ahh, Shintaro. Merci d’être encore venu, aujourd’hui. Il fait chaud, dehors ?”
“Nan, ce n’est pas possible de te décrire la température extérieure avec juste le mot ‘chaud’ ! Aujourd’hui pourrait bien être le jour le plus chaud de l’année.” , me dit Shintaro en s’asseyant par terre et en aérant son col.
Comme me le disait Shinatro, il avait l’air de faire vraiment chaud dehors. En regardant la sueur qui coulait sur la tête et le cou de Shintaro, je me sentais mal pour lui.
“Tu portes même ta veste, un jour comme ça ; tu fais vraiment la totale, hein ? Prends bien soin de ton corps, d’accord ?”
“Haha, mais oui, t’inquiète. Ah, tiens. C’est pour toi.” Après m’avoir dit ça, Shintaro a pris son sac plastique en en a retiré une part de gâteau à la broche, qui se trouvait dans une boîte.
J’étais assez amusé et nostalgique à la vue du gâteau, alors j’ai échappé un petit rire, sans pouvoir m’en empêcher.
Shintaro pencha sa tête dans ma direction. “Qu’est-ce qu’il y a, Haruka ? T’aimes pas le gâteau à la broche ?”
“Non, non. J’étais juste en train de penser que ça m’avait l’air vraiment très bon~”
Je me souvenais du nombre de jours depuis que les vacances d’été avaient commencé. Aujourd’hui nous sommes… Hmmm… Le dixième jour. Sûr et certain.
Pendant toutes ces vacances, Shintaro était souvent venu me voir chez moi. Je me sentais assez mal de le faire marcher dans cette chaleur, mais je devais bien avouer que les visites que me rendaient Shintaro étaient l’un des seuls petits plaisirs auxquels je pouvais m’attendre.
“Bon, dans tous les cas, ça te va, Shintaro ? Tu n’aimes pas trop le sucré, mais tu as quand même acheté du gâteau à la broche…”
“Hein ? Ahh, je réussis de plus en plus à manger sucré, en ce moment. Avant, on aurait dit que je n’aimais pas le sucré, sans même essayer.” Quand Shintaro prononça ces mots, il pris une part du gâteau, le fourra dans bouche et dit “C’est trop bon~”
Je me détendis un peu, en voyant qu’il n’avait pas l’air de faire semblant. “Maintenant que j’y pense, quand on s’est rencontrés pour la première fois, c’est ce que tu as dit quand tu as bu le soda. C’était vraiment très intrigant, tu sais. C’était la première fois que je voyais quelqu’un apprécier autant une boisson.”
Shintaro se gratta la tête avec un peu d’embarras. “Ouais, avant j’avais vraiment été ému. Et depuis, il ne s’est pas passé un jour sans que je ne boive de ce soda. C’est vraiment grâce à toi, tout ça.”
“Même si tu me remercies, j’ai plus l’impression de t’avoir donné une assez mauvaise habitude qu’autre chose…”
En disant ça, je rigolai et Shintaro aussi “Mais non, c’est faux.”
Passer du temps ensemble, les bras croisés, à papoter et rigoler. Je pensai alors tout à coup au fait que Shintaro et moi étions peut-être amis, en fait.
Je ne connais pas la définition d’’ami’ par cœur, mais si Shintaro ne compte pas en tant qu’’ami’, alors je n’avais pas besoin d’en avoir d’autres. Ah, mais Takane est aussi mon amie, bien évidemment. Mais non, considérer Takane en tant que mon ‘amie’ me faisait un peu mal au cœur. Hmm…C’est assez bizarre. Si ça se trouve, c’était ‘quelque chose comme ça’, mais je me trouvais incapable d’être sûr de moi à ce propos. C’est parce que je trouvais ça impossible de dire ce genre de choses.
C’est comme ça. De toute façon, je vais bientôt mourir.
J’écoutai attentivement les cigales. Je pensai très sérieusement que c’était un assez bon moment pour mourir. Si ça avait été une saison silencieuse comme l’hiver, et qu’il neigeait, mon esprit aurait été très perturbé. C’était pourquoi, en ce moment, je pensai à de telles choses en écoutant les cigales. Parce qu’en fait, j’avais l’impression que les cigales me rappelaient que j’étais vivant, je me sentais bien à chaque fois, au moins un petit peu.
Mais ça devenait plus dur, la nuit tombée. Quand je commençais à penser “C’est quoi la ‘mort’, exactement ?”, c’en était fini pour moi. En sachant que j’étais dans un état où, bientôt, je comprendrais exactement ce qu’était la ‘mort’, je ne pouvais pas m’empêcher d’avoir des nausées.
D’abord, j’arrêterai de respirer, mon cœur cessera de battre, mon sang finira de couler, et mon cerveau se figera. Ensuite, je ne pourrais ni parler, encore moins rire, voir, entendre ou manger. Et après ça…je ne penserai plus comme maintenant. Je me demandais comment on ressentait ça. J’arrivais pas à l’imaginer.
Je ne pouvais pas m’empêcher d’avoir terriblement peur de la ‘mort’, que je n’arrivais pas à m’imaginer.
En fait, il y eût un moment où je croyais fermement en l’existence du ‘paradis’. Haut dans le ciel, il y avait un ‘paradis’, comme peint dans les tableaux, et tout le monde y vivait heureux là-bas. J’y arriverais alors avant Shintaro et les autres, mais je les reverrai un jour.
…Mais un endroit pareil n’existe pas. C’était qui le gars qui avait dit qu’un endroit pareil existait ? Il n’y avait même pas été. Quel sale menteur. Menteur, menteur, menteur… ! Ben oui, il devait n’y avoir rien d’autre qu’un monde obscur, après la mort, avec rien autour, juste moi, tout seul…
“…Ha-Haruka?”
Je revins à mes esprits au son de la voix de Shintaro. On dirait que j’avais un peu trop réfléchi. Mon cœur battait fort et je n’arrivais plus à respirer.
En voyant que je ne lui donnais aucune réponse, Shintaro se leva et alla quitter la chambre. Il allait probablement chercher de l’aide auprès de quelque qu’un.
J’attrapai son bras afin de l’arrêter. “N-Non, non, c’est bon…. Je me connais. Je suis assez stable, donc…”
“M-Mais Haruka, t’avais l’air de passer un sale quart d’heure…” Shintaro faisait une tête terriblement inquiète.
Je lui ai peut-être dit quelque chose d’affreux, mais j’étais vraiment content. Du coup, j’avais commencé à vraiment me haïr de tout mon être. Broyer du noir à ma guise, être désagréable à ma guise, et perturber mon cher ami…Je fais vraiment pitié.
En prenant de grandes inspirations, mon corps redevint à son état normal. Mais même en ayant dit ça, ce n’était pas mieux. Parler me faisait un peu mal, alors je me tus pendant un petit moment. Shintaro resta silencieux lui aussi, et j’avais l’impression qu’il regardait avec moi par la fenêtre.
Le ciel changeait de couleur, l’après-midi pointait le bout de son nez. Au milieu des cris des cigales, les corbeaux commencèrent aussi à se faire entendre.
“…Ce serait bien que tu ailles mieux,” murmura Shintaro.
Cela faisait si longtemps que je n’avais pas entendu ces mots, alors j’ignorais quoi dire.
Une simple phrase, “Oui, je vais faire tout mon possible”, si je l’avais dite, ça aurait été bien. Mais bizarrement, cette minuscule phrase ne pouvait pas sortir de ma gorge.
“…Quelque chose comme ça n’arrivera jamais.”
Je ne pouvais pas voir le visage de Shintaro, je n’avais pas envie le voir, et je n’avais pas envie qu’il voit le mien.
“…Q-Qu’est-ce que tu dis, Haruka… ! Ecoute, il a fait très chaud en ce moment, alors c’est pour ça que…”
“Non. …Non, Shintaro.” J’avais décidé de ne pas le dire, mais je n’ai pas pu m’arrêter à temps.“…Je vais mourir. Je crois qu’il me reste un mois à vivre. Et ça, je le savais bien avant de t’avoir rencontré.”
Aucune réponse de la part de Shintaro. J’ouvris de nouveau ma bouche pour me rattraper. “Shintaro. C’est la première fois de toute ma vie que je me suis fait un aussi bon ami. C’est pour ça que je veux que tu sois heureux. Même si ça va être dur pour toi maintenant, je veux que tu vives une longue vie, pour moi.”
Les couleurs de l’après-midi s’assombrirent, et la chambre était maintenant teintée d’orange.
Là, je venais de partir en cacahuète et commençais à dire tout ce qu’il me passait par la tête. Pas étonnant que Shintaro n’arrivait pas à me répondre. Il est déjà tard, il faut que je dise quelque chose.
“Désolé, Shintaro. Tu devrais probablement y aller, pour aujourd’hui. Il fait assez tard, donc…”
“Je…”
En entendant sa voix qui tremblait, je n’ai pas pu m’empêcher de tourner la tête vers lui, et devant mes yeux, je vis d’énormes larmes couler sur le visage de mon ami.
“J-Je… v-veux… pas que tu meurs…!”
Shintaro est quelqu’un qui sait bien manier les mots, et peux très bien les mettre en forme pour ne pas blesser. Je le sais ça. Bien sûr que je le sais, vu qu’on est amis.
“Moi, non plus…” Voilà pourquoi dès que j’avais entendu les mots de Shintaro, je ne pouvais plus me contrôler.
“M-Moi non plus je veux pas mourir …!! Pourquoi… Pourquoi moi ?! C’est bizarre…”
Mes larmes atterrissaient sur ma couverture. Maintenant que j’y pense, je n’avais jamais pleuré devant quelqu’un avant.
“Mon corps devient de plus en plus bizarre … J-Je peux même plus sentir le goût de ce que je mange. Ahh, j’ai peur, j’ai tellement peur. Sauvez-moi, sauvez-moi…!!”
Après avoir sorti tout ça de ma poitrine, j’ai plongé ma tête dans ma couverture et j’ai pleuré. Pendant un long moment, Shintaro caressait mon dos, mais je me demandais vraiment combien de temps ça avait duré.
On dirait que je m’étais endormi sans le savoir, alors quand je me suis réveillé, il faisait nuit noire. Je remarquai que Shintaro dormait sur le tapis qui se trouvait à côté de mon lit. Après l’avoir couvert avec une couverture, je sortis dehors, un petit moment.
Je crois avoir erré sans but, mais ensuite, je réfléchis sur ce que je devais faire. Je ne pensai à rien d’exagéré comme ‘laisser une trace de moi dans ce monde’, mais d’une certaine manière, je pensais qu’il fallait que je retourne à l’école.
Oui, c’est ça, il fallait que j’y retourne. Le prochain tournoi de ‘DEAD BULLET -1989-‘ arrivait à grands pas. J’ai créé un compte, après tout. Peut-être que c’était une bonne opportunité pour que ‘Konoha’ affronte ‘Ene’.
Tandis que ces pensées défilèrent dans ma tête, j’ai alors préparé mon aventure nocturne avec une ferme détermination.
Ce moment allait être le plus précieux de toute ma vie — qui l’aurait deviné ? — Mais étrangement, je n’avais pas l’impression de le gâcher.